Deshérence : L’État confisque votre argent !
Il y a un an presque jour pour jour, les compagnies d’assurances étaient sommées d’avoir totalement apuré leur stock d’actifs en déshérence. La mission semble être loin d’être accomplie, puisqu’une instruction de l’ACPR instaure un bilan annuel de la déshérence sous forme d’un rapport, tandis qu’une déshérence résiduelle subsiste.
– Au 01/01/2017, une part non négligeable des assureurs n’est toujours pas en conformité avec la loi Eckert
– L’ACPR doit forcer les compagnies d’assurance à communiquer leurs chiffres pour avoir une vraie idée de l’ampleur de l’encours des contrats en déshérence
– Aucun contrôle n’existe pour vérifier le bien fondé d’un transfert des fonds à la Caisse des Dépôts et Consignations (comme la certitude absolue qu’il ne reste aucun héritier et/ou bénéficiaire du contrat encore en vie, avec attestation d’un généalogiste)
– De nombreuses compagnies se sont contentées de retrouver et actualiser les dévolutions déjà enregistrées…
– … en faisant l’impasse sur les successions qui n’ont jamais été réglées ou les successions vacantes (qui nécessitent des recherches approfondies)
Sur ce dernier point, un outil a justement vu le jour pour permettre aux bénéficiaires la recherche d’un actif qui leur reviendrait : CICLADE (Conservation Indépendante des Comptes, Livrets et Avoirs en DEshérence). Accessible en ligne, l’outil est « un service d’intérêt général créé en application de la loi du 13 juin 2014 ».
Nous avons testé ce site, et un point en particulier nous a frappé: les contrats en déshérence ne sont pas tous inscrits dans le fichier.
Lorsqu’un contrat est inscrit, les éléments n’apparaissent pas (références du contrat et nom de la compagnie), ce qui n’empêche pas CICLADE de vous solliciter pour télécharger de nombreux documents :
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Pièce d’identité du bénéficiaire
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Pièce d’identité du représentant légal
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Document justificatif de décès
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Document justificatif de succession
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Justificatif de représentation légale
Pour les néophytes en informatique et autres phobiques administratifs que cette lourdeur procédurale n’aura pas repoussé, il faudra compter pour l’obtention d’une réponse… trois mois. Et même après cette attente, la fiabilité de la réponse n’est garantie en rien :
– Monsieur B. est fils unique, et bénéficiaire d’une assurance-vie contractée par sa mère, décédée il y a 15 ans. L’étude SEGUR l’a identifié et localisé durant l’automne 2016, suite à quoi l’organisme d’assurance qui détient les fonds a pris contact avec lui. Après avoir réclamé plusieurs fois ses justificatifs sans succès, l’organisme lui annonce que les fonds ont été transférés à la Caisse des Dépôts et Consignations suite au retard pris. Monsieur B. interroge alors le fichier CICLADE de la CDC, qui lui indique qu’aucun dossier n’a été enregistré à son bénéfice.
– Madame J. est octogénaire. Elle est bénéficiaire d’un contrat souscrit par son frère, décédé 12 ans plus tôt. Également localisée puis identifiée par SEGUR, elle n’a pas été contactée par l’organisme détenteur du contrat à cause de l’afflux massif de travail engendré par l’obligation de recherche. N’étant pas internaute, elle ne peut pas faire de demande en ligne (seule procédure prévue à cet effet) auprès du fichier CICLADE.
Le mode d’interrogation de CICLADE est plus ou moins calqué sur la procédure d’interrogation de l’AGIRA. C’est donc sans surprise que les problèmes inhérents à cette dernière sont passablement identiques, dont le principal : il faut que le souscripteur soit identifié. Cette condition devient réellement problématique lorsqu’on parle de deshérence, qui suppose par définition que l’on ignore l’existence du contrat. Assez régulièrement, ne pas savoir qu’un contrat d’assurance-vie a été souscrit peut aussi impliquer de ne pas savoir que le souscripteur est décédé, qu’il avait des économies… quand bien même il s’agit d’un membre de la famille. Dans la mesure où un souscripteur peut choisir le bénéficiaire qu’il veut, il est même envisageable que ce bénéficiaire ne puisse pas mettre de visage connu sur le capital à percevoir.
En poussant la logique jusqu’au bout, on ne peut acquérir la certitude de n’être bénéficiaire d’aucun contrat d’assurance-vie en deshérence qu’en interrogeant CICLADE pour tous ses ancêtres connus et décédés. Nous vous laissons le soin d’imaginer l’ampleur de la tâche, et d’y rajouter les amis, la belle-famille… qui peuvent tout aussi bien souscrire un contrat d’assurance-vie sans en prévenir le bénéficiaire (généralement pour éviter tout conflit du vivant du souscripteur).
C’est là qu’est toute l’ambiguïté de la loi Eckert. Annoncée comme une restitution des milliards d’euros qui reviennent aux français, son application via CICLADE révèle une position beaucoup plus intéressée de la part de l’État. Les amendes sanctionnant la négligence de certains établissements cessent, pour se transformer en une confiscation des fonds par l’État. qui se rend paradoxalement coupable des griefs qu’il faisait aux établissements financiers.
Il faut partir du problème pour trouver une solution : les bénéficiaires non retrouvés par manque de temps et de moyens n’exerceront pas eux-même les démarches de demande de restitution des fonds.
Le moyen de venir à bout de cette déshérence est de publier le nom des souscripteurs décédés comme l’ont fait les banques suisses ces derniers mois.
Il est aussi irréaliste qu’impensable pour un bénéficiaire ou héritier potentiel de solliciter le fichier CICLADE pour l’ensemble des membres de sa famille, de ses amis, et des amis de sa famille! Ces recherches sans fin ne parviendront qu’à un résultat minime, au contraire d’une publication officielle qui permettrait aux professionnels de la recherche et aux particulier de dénouer ces contrats.
En effet, il aurait été également beaucoup plus logique d’organiser une recherche par bénéficiaire, et non pas par souscripteur, sur l’application CICLADE ; mais cela suppose un inventaire complet des contrats en deshérence, et l’identification certaine desdits bénéficiaires ou des héritiers.
« Les faits sont têtus », disait Lénine ; et en l’occurrence, il n’est pas possible de revenir sur le retard pris dans la lutte contre la deshérence. En revanche, il est probablement plus simple – et encore tout à fait possible – de rendre publique la liste des contrats d’assurance-vie en deshérence. Dès lors, pourquoi préférer demander aux bénéficiaires de faire ces recherches, alors que le concept même de deshérence suppose qu’ils n’aient pas connaissance de cette qualité de bénéficiaire ? Il est facile de s’en faire une idée lorsqu’on sait qu’au bout de 20 ans, les sommes reviennent à l’État et ne peuvent plus être réclamées. Il ne reste donc plus qu’à attendre pour l’État, puisque les bénéficiaires d’assurances vie en deshérence finiront aussi par décéder à l’instar du souscripteur ; la recherche par un généalogiste permet de facilement passer cette barrière. Par contre, il est légitime de se demander comment un héritier peut prendre connaissance de l’existence d’un souscripteur instituant un contrat au bénéfice du défunt de la succession dont il hérite (et comme vous pouvez le voir, cela devient rapidement compliqué). C’est d’ailleurs pour cette même raison que la législation a d’abord forcé les assureurs à faire des recherches de bénéficiaires, et non pas le contraire.
Globalement, la procédure prévue par CICLADE pourrait avoir dans le meilleur des cas, l’effet d’un pansement sur une fracture. On sait pourtant depuis plusieurs années que les recherches de bénéficiaires faites par un généalogiste restent entre toutes la démarche active la plus efficace, à tel point que l’ACPR le rappelle régulièrement dans ses sanctions contre les assureurs. Pour effectuer la transition à la CDC, il aurait pu être envisagé une démarche de recherche passive, c’est à dire une publication intégrale des contrats en deshérence. Procéder ainsi permettrait d’éviter les lourdeurs d’une interrogation de fichier, tout en permettant une auto-sélection plus drastique des bénéficiaires potentiels. Ce n’est toutefois pas cette solution qui a été choisie, ce qui risque de faire encore parler pendant longtemps des actifs en deshérence…