Les avoirs bancaires et les contrats d’assurance-vie en déshérence : une réforme bien engagée, une mise en œuvre à conforter.
Extrait de la synthèses du Rapport public annuel de la Cour des comptes 2019. (rapport complet en bas de page)
La loi du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence, dite « loi Eckert », vise à renforcer la protection des épargnants. Ses dispositions, pour l’essentiel entrées en vigueur au 1er janvier 2016, ont imposé de nouvelles obligations aux banques et aux assureurs, et prévu la conservation par la Caisse des dépôts et consignations des sommes non restituées aux épargnants.
Circuit de traitement des comptes inactifs et contrats d’assurance-vie non réglés
Dès 2013, la Cour avait mis en lumière les enjeux associés à la déshérence, dont l’ampleur était estimée à un minimum de 1,2 Md€ pour les avoirs bancaires inactifs et à 2,8 Md€ pour les contrats d’assurance-vie non réglés. En 2018, elle a souhaité s’assurer de la mise en œuvre effective des dispositions de la loi. La Cour constate que la mobilisation de toutes les parties prenantes pour se conformer aux nouvelles obligations a eu des effets très positifs au profit des épargnants. L’application de la loi révèle un phénomène de déshérence qui dépasse largement les estimations initiales. Des progrès sont dès lors encore nécessaires afin d’améliorer le traitement assuré par les banques, les assureurs et la Caisse des dépôts, tandis que certains éléments de la loi demandent à être précisés.
Une meilleure protectiondes avoirs des épargnants
Dans le délai de dix-huit mois prévu entre la promulgation et l’entrée en vigueur de la loi Eckert, les professionnels de la banque et de l’assurance-vie ont fait évoluer de façon très substantielle leurs processus et leurs systèmes d’information afin d’identifier et traiter les comptes bancaires inactifs et les contrats d’assurance-vie non réglés. De même, la Caisse des dépôts a mis en place les outils informatisés permettant de recevoir les sommes que les banques et les assureurs ont l’obligation légale de lui transférer et de traiter les demandes de restitution du grand public.
Ainsi, du côté des sociétés d’assurance, de nombreux contrats à régler ont pu être identifiés. Un montant de 2,2 Md€ en 2016 et 2 Md€ en 2017 a été versé aux bénéficiaires des contrats d’assurance-vie non réglés en stock l’année précédente. Du côté des établissements bancaires, 50 % des comptes inactifs ont été réactivés en 2016 grâce à l’information diffusée à leur titulaire. Au 30 novembre 2018, plus de 1,5 million de recherches ont été effectuées sur le site Ciclade1, qui offre au public la possibilité de renseigner en ligne des données d’état-civil et d’être immédiatement informé en cas de possible correspondance avec les fichiers de la Caisse des dépôts. Ces recherches ont permis la restitution de 143,2 M€.
Un stock de déshérence important et durable
La loi Eckert a donné une définition des comptes inactifs et des contrats d’assurance-vie non réglés qui permet désormais leur suivi sur un périmètre stable. De fait, l’ampleur de la déshérence s’est révélée très supérieure aux estimations antérieures. Au 31 décembre 2015, l’encours des contrats d’assurance-vie non réglés s’élevait à 5,4 Md€. À la fin de l’année 2017, après le transfert des contrats les plus anciens à la Caisse des dépôts et à l’État, il atteignait encore un montant de 4,7 Md€. Les établissements bancaires détenaient 18,9 Md€ de comptes et produits inactifs au 1er janvier 2016. Après la réactivation de la moitié de l’encours et le transfert des avoirs les plus anciens, les produits inactifs conservés par les banques représentaient 6,2 Md€ fin 2016. En outre, la Caisse des dépôts a reçu 3,7 Md€ en 2016 au titre des avoirs bancaires et des contrats d’assurance-vie. Ce montant atteint 5,1 Md€ au 30 novembre 2018.
La décrue des stocks en déshérence sera lente. S’agissant de l’assurance-vie, leur diminution est freinée par des flux entrants dynamiques et par l’obligation légale de conserver pendant dix ans les contrats dont les bénéficiaires n’ont pu être identifiés. Pour le secteur bancaire, le recensement des comptes inactifs est sans doute encore inachevé, ce qui pourrait expliquer leur progression entre 2016 et 2017. S’agissant de la Caisse des dépôts, le solde des sommes conservées est en augmentation constante depuis 2016 et devrait s’élever à 4,9 Md€ au 31 décembre 2018.
Après un délai de trente ans, les avoirs non réclamés reviennent à l’État au titre de la prescription trentenaire. Pour l’instant, leur montant est peu important (137 M€ en 2017) et ne devrait pas augmenter significativement jusqu’aux années 2030.
Des processus de traitement de la déshérence encore perfectibles
Si l’essentiel des obligations imposées par la loi est respecté par les banques, les assureurs et la Caisse des dépôts, des améliorations doivent être poursuivies pour une plus grande fluidité des processus, au bénéfice de l’épargnant.
Du côté de la Caisse des dépôts, les lacunes du site Ciclade doivent être comblées pour faciliter les recherches du grand public. En effet, quelques produits financiers ne peuvent être demandés que par voie postale, d’autres sont traités via un site internet distinct, tandis que certains bénéficiaires n’ont aucune possibilité de recherche de leurs avoirs. Malgré des améliorations, le délai de traitement des demandes reste long et atteignait encore 5,3 mois au 31 août 2018.
Par ailleurs, à la suite d’une recommandation de la Cour lors de l’instruction, la Caisse des dépôts a décidé de rémunérer les avoirs déposés au taux de 0,3 %. Elle est invitée à revoir périodiquement ce taux en fonction des conditions de placement sur les marchés financiers et de l’amélioration de la connaissance des durées de conservation des sommes.
Pour les banques et les assureurs, des difficultés d’application des textes doivent encore être levées. Des précisions sur le périmètre d’inclusion de la loi sont nécessaires, par exemple, pour les bons de caisse, les parts sociales des entreprises ou les contrats prévoyant une sortie en rente. Ces produits ne sont, dans les faits, pas pris en charge alors que la loi devait englober l’ensemble des produits d’épargne sauf exceptions explicitement prévues.
Une prévention de la déshérence à développer
Le renforcement de la fiabilité des bases de données clients est indispensable pour améliorer la prévention de la déshérence. En 2013, la Cour avait déjà souligné que l’accès des banques et des assureurs au numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques tenu par l’Insee (NIR ou « numéro de sécurité sociale »), sous certaines conditions de confidentialité et de sécurité, permettrait des progrès dans ce domaine. L’accès au NIR pour fiabiliser les bases de données clientèle reste à ce jour non autorisé.
Un autre champ de déshérence potentielle a été identifié, pour lequel des mesures doivent être prises. Il s’agit des contrats d’assurance-vie portant sur la retraite supplémentaire qui, en l’état actuel des textes, ne font pas l’objet de recherche de bénéficiaires. S’agissant des contrats collectifs à adhésion obligatoire, il existe, de plus, un risque de méconnaissance de leurs droits par les assurés. L’enjeu est financièrement important puisque, en première estimation, le montant des capitaux constitutifs de rentes non liquidées après l’âge légal de 62 ans s’élève à plus de 13 Md€ à la fin de 2016.
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